Il est des moments qui restent gravés dans la pierre, mais la bataille de Vertières reste gravée dans les cœurs et dans l’âme des Haïtiens, mais aussi dans la mémoire des vaincus, les Français, qui ont essayé en vain de l’effacer. Cependant, ce qui est inscrit dans l’âme reste éternel malgré les turpitudes et les mésaventures d’un peuple trahi par ses élites. En 2025, la grandeur des héros de l’indépendance haïtienne reste indélébile et le 18 novembre, une date qui provoque à la fois des sourires et des grincements de dents, 222 ans plus tard. Cette commémoration rappelle aussi le courage des femmes qui, souvent invisibles, ont apporté un soutien essentiel aux combattants par leur présence, leur ravitaillement et leur soin aux blessés.

Fouye Rasin Nou, le 18 novembre 2025_N’en déplaise à certains, la bataille de Vertières, qui a eu lieu le 18 novembre 1803, reste et demeurera l’un des grands événements majeurs de l’histoire haïtienne et mondiale et mérite encore d’être célébrée haut et fort. À titre de comparaison, Vertières est une victoire plus éclatante que d’autres grandes batailles historiques comme Waterloo (1815), Austerlitz (1805) ou Yorktown (1781), tout en se distinguant par le fait qu’elle consacre la victoire d’anciens esclaves sur une grande puissance coloniale.
Après treize années de guerre, les Noirs mis en esclavage dans la colonie de Saint-Domingue ont fait l’impensable : battre la plus grande armée du monde de l’époque. En effet, l’armée française était alors la plus redoutable et la plus redoutée en Europe, car elle constituait la première puissance militaire mondiale. Force militaire professionnelle, disciplinée et modernisée, elle dominait par ses effectifs et son organisation et était dirigée par celui qui était considéré comme le plus brillant stratège militaire de son époque : Napoléon Bonaparte. À cette époque, la France était ce que représentent aujourd’hui les États-Unis ou la Russie en termes de puissance militaire.
Cette victoire décisive des Noirs de Saint-Domingue porte la signature de deux grands hommes : le général Jean-Jacques Dessalines et le capitaine François Capois. Dessalines ordonna la prise du fort de Vertières, près de la ville du Cap, et donna le plan de bataille qui serait mené de main de maître par François Capois, dit Capois-la-Mort. Ce dernier brilla par sa hargne et une bravoure inégalée, forçant la capitulation de l’armée française. Le lendemain matin, un officier français se rendit au quartier général de l’armée haïtienne sur un cheval et porta le message suivant : « Le capitaine-général Rochambeau offre ce cheval en marque d’admiration pour l’“Achille noir” afin de remplacer celui que son armée regrette d’avoir tué. »

Ce jour-là, l’Achille noir, comme l’avait surnommé Rochambeau, a mis en lambeaux tout le système esclavagiste, colonialiste, raciste et génocidaire mis en place depuis près de quatre siècles en Haïti. Cette victoire eut un retentissement international immense, au point de pousser Napoléon à renoncer à son ambition coloniale dans les Amériques.
Il est d’ailleurs frappant de constater que le mot « Vertières », symbole d’une des plus grandes victoires anticoloniales et antiracistes de l’histoire universelle, reste extrêmement discret dans les grands dictionnaires français.
Dany Laferrière, premier Haïtien et premier écrivain noir élu à l’Académie française, a bien réussi en 2019 à faire entrer « Vertières » dans la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie (une première historique, même si l’entrée demeure modeste, simple illustration sous le mot « victoire ») et le Larousse l’a suivi en 2023. Pourtant, le nom de cette bataille décisive reste absent du Robert et n’a toujours pas droit à son entrée dans le dictionnaire officiel de la langue française.
Plus de deux siècles après la défaite de l’armée de Napoléon face à des esclaves révoltés, et malgré la présence d’un immortel haïtien sous la Coupole, cette discrétion persistante continue d’illustrer à quel point l’histoire haïtienne, surtout lorsqu’elle célèbre la grandeur noire et la chute d’un empire esclavagiste, demeure marginalisée, minimisée ou pudiquement tenue à distance dans la mémoire institutionnelle francophone. Une vraie douleur pour l’ancienne puissance coloniale!
222 ans plus tard, l’esprit de Vertières résonne encore dans l’âme des Haïtiens et le nom du magnanime Capois-la-Mort reste à jamais gravé dans les annales comme celui qui a porté le coup fatal à l’un des systèmes les plus inhumains de l’histoire et qui a surtout mis en déroute l’une des plus grandes armées de l’histoire. Cette bataille fondatrice rappelle aussi que l’identité haïtienne s’est construite dans le sacrifice, l’unité et le courage de milliers de soldats connus et inconnus qui ont donné leur vie pour la liberté.

