Haïti face à la multipolarité mondiale : l’héritage de Dessalines à la croisée des Suds

L’ordre mondial se fracture et que les nations du Sud revendiquent une place plus équitable dans les relations internationales. Ceci n’est pas sans rappeler l’héritage révolutionnaire de Jean-Jacques Dessalines . En marge des grands blocs émergents comme les BRICS+ et l’Alliance des États du Sahel (AES), Haïti demeure en retrait diplomatique. Pourtant, plus d’un semblent s’inspirer dans le cadre des mouvements actuels de souveraineté .

Fouye Rasin Nou, 03 juin 2025_L’offensive des Suds : BRICS+, AES et rejet des tutelles occidentales

Le sommet de Johannesburg en août 2023 marque un tournant. Le BRICS, regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, élargit ses rangs pour inclure des puissances régionales du Sud. Objectif déclaré : créer un contrepoids à la domination des institutions occidentales comme le G7, le FMI, l’OTAN et l’OEA.

Parallèlement, l’AES, composée du Mali, du Burkina Faso et du Niger, s’affirme comme un front panafricain de rupture. Les dirigeants de cette alliance affirment vouloir bâtir des relations internationales fondées sur la souveraineté et le respect mutuel. « Le monde change, et les anciennes puissances doivent désormais composer avec un nouvel équilibre global », a déclaré le président burkinabè, Ibrahim Traoré lors d’un discours à Bamako en février 2024.

Haïti, absente sur la scène mais forte d’un legs fondateur

Haïti n’a pris aucune position officielle dans cette recomposition géopolitique. Pourtant, elle fut historiquement l’une des premières nations , si ce n’est la première. à proposer un modèle d’État souverain, anticolonial et profondément égalitaire en contrepoids du modèle imposé par les grandes puissances de l’époque. En 1805, Jean-Jacques Dessalines abolit l’esclavage, proclame tous les citoyens « Noirs » et ferme le territoire aux puissances esclavagistes. Cette Constitution révolutionnaire constitue, selon l’historien haïtien Jean Casimir, « un acte fondateur de la modernité politique noire ».

Un empire fondateur et visionnaire

Proclamé empereur après l’indépendance, Dessalines imagine une organisation radicalement nouvelle. Sa Constitution de 1805 abolit toute forme de servitude, proclame l’unité raciale par le biais d’une citoyenneté noire universelle et érige la souveraineté comme fondement inaliénable de l’État. Bien plus qu’un acte de rupture, l’Empire Dessalinien incarne une vision du monde fondée sur la liberté collective et la dignité humaine. Une vision encore pertinente dans l’architecture multipolaire que veulent construire les puissances du Sud aujourd’hui.

La vision de Dessalines c’était aussi le panamericanisme. En proposant son aide aux leaders des mouvements indépendantistes de l’Amérique latine, il s’est aligné sur la promotion d’un modèle différent que le modèle colonial séculaire de son époque.

Des alliances Sud-Sud anciennes mais fragilisées

Haïti a longtemps tissé des liens solides avec des nations engagées dans la décolonisation. L’aide apportée à Miranda puis Bolivar et récemment le programme PetroCaribe, lancé par Hugo Chávez en 2005, en sont des exemples marquants.

Cuba, quant à elle, a envoyé plus de 3 000 médecins et formé plus de 1 200 professionnels haïtiens en deux décennies. Le Vietnam reste une source d’inspiration idéologique, en tant que nation ayant résisté à l’impérialisme et promu une voie de développement souveraine.

Cependant, ces dynamiques ont été ralenties par l’instabilité chronique du pays. Corruption, insécurité, gouvernance défaillante : autant de facteurs qui ont freiné l’action diplomatique haïtienne.

Une place à reconquérir dans le concert multipolaire

Aujourd’hui, Haïti reste en marge des grands blocs stratégiques. Mais l’héritage dessalinien continue de porter une charge politique puissante. « Le modèle de Dessalines reste un manifeste de souveraineté utile pour nos luttes modernes », résume le politologue Frantz Voltaire.

Encore faut-il que le pays stabilise ses institutions, relance son économie et retrouve une voix diplomatique crédible. Faute d’initiatives concrètes, ce legs risque de rester lettre morte.

Un silence qui interroge

En somme, dans un monde où les peuples du Sud redéfinissent leurs alliances et leurs modèles, l’absence d’Haïti interroge. Le silence du gouvernement tranche avec la richesse du passé. Mais si les dirigeants actuels se taisent, l’histoire, elle, parle encore.

Et elle rappelle qu’un petit pays, à l’aube du XIXe siècle, avait osé défier l’ordre mondial. Haïti fut cette voix. Elle pourrait le redevenir. À condition de cesser d’abandonner l’avenir aux fantômes du passé.

Jean-Pierre Styve/ Fouye Rasin Nou(FRN)

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