17 avril 1825 – 17 avril 2025 : 200 ans du braquage d’Haïti par la France

Le 17 avril 2025 marque les 200 ans de la signature de l’Ordonnance de 1825 imposée par la France à son ancienne colonie, Haïti. Par cette ordonnance, le pays était obligé de payer 150 millions de francs-or à la France en guise de réparation aux anciens colons. Cette ordonnance constitue à la fois une injustice, mais aussi un frein important à l’essor économique de la jeune nation.

Fouye Rasin Nou, le 17 avril 2025_ Haïti est le seul pays en Amérique dans lequel une révolte d’esclaves noirs a pu réussir. En effet, l’éclatante victoire des troupes indigènes menées par le brillantissime Jean-Jacques Dessalines sur l’armée napoléonienne en 1803 a été mal perçue par les puissances coloniales de l’époque.

Cette révolution, à la fois anticolonialiste, antiesclavagiste et antiraciste, était une gifle pour ces puissances qui y voyaient une menace pour leurs intérêts. Elles juraient donc d’asphyxier la jeune nation et de la « laisser cuire dans son jus ». Aussi lui ont-elles imposé un embargo commercial et ont-elles cherché à l’isoler de la scène internationale.

Le contexte de l’Ordonnance de Charles X

Les premières années suivant l’indépendance haïtienne ont été marquées, sur le plan externe, par une politique d’hostilité des grandes puissances coloniales et esclavagistes de l’époque, qui n’ont pas voulu reconnaître son indépendance et ont cherché à l’asphyxier économiquement pour freiner son décollage. La jeune nation devait donc faire face à d’immenses défis dès sa naissance. Sur le plan interne, les premières années ont été marquées par une crise d’orientation et par des luttes politiques. Entre l’assassinat de l’Empereur Dessalines (17 octobre 1806), la guerre civile entre les généraux Christophe et Pétion (1er janvier 1807) et la scission du pays en deux États à partir de février 1807, l’avenir du pays s’annonçait sombre. Plus tard, à partir de 1818, ce fut l’avènement au pouvoir de Jean-Pierre Boyer, qui allait diriger l’Ouest et le Sud après la mort de Pétion, puis tout le pays à partir de 1820, à la mort du roi Henri Christophe, qui gouvernait le Nord.

Ce dictateur mulâtre et rétrograde menait une politique obscurantiste et voulait à tout prix sortir de l’isolement international, cherchant par tous les moyens à se rapprocher de l’ancienne métropole. D’un autre côté, la France voulait à tout prix faire payer à Haïti ce qu’elle considérait comme un affront. C’est de là que va émerger l’idée de l’ordonnance, qui s’avérera être un braquage historique.

L’ordonnance ou le plus grand vol du 19e siècle avec la complicité de Boyer

Le 17 avril 1825, le roi Charles X imposa à Haïti de payer une lourde indemnité de 150 millions de francs, équivalant aujourd’hui à plus de 21 milliards d’euros, en échange de la reconnaissance de son indépendance, proclamée 21 ans plus tôt, le 1er janvier 1804. L’article 2 de l’ordonnance stipule :

« Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la Caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant le 31 décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité. »

Cela ne se faisait pas sans la menace d’une invasion militaire et d’un blocus maritime.

Elle fut acceptée et signée par le président Jean-Pierre Boyer, malgré les avis défavorables de certains conseillers. Si l’on en croit le grand intellectuel Anténor Firmin, aussi bizarre que cela puisse paraître, Boyer lui-même avait demandé l’ordonnance au lieu d’un traité. « Le président avait demandé que la reconnaissance se fasse par une ordonnance du roi ; au lieu d’un traité, on lui octroya une ordonnance. M. de Laujon, dans une conversation privée, avait dit au président qu’il pensait qu’avec soixante-quinze millions et un chocolat, on pourrait arriver à un accommodement. “Si ce n’est que cela, avait répondu Boyer inconsidérément, j’en donnerai cent ; on lui en imposa cent cinquante,” peut-on lire dans son ouvrage intitulé Roosevelt et Haïti, paru en 1905. »

Deux cents ans plus tard, le jeudi 17 avril 2025, à l’occasion du bicentenaire de cette ordonnance, le président français Emmanuel Macron a reconnu publiquement cette injustice historique. Dans un communiqué officiel, il déclare :

« Wa Charles X nan lane 1825, te deside mete dèt sa a sou libète yon jèn nasyon, ki te konfwonte depi nan konstitisyon li, ak fòs enjis listwa. »
Toutefois, malgré cette déclaration solennelle, aucune mention claire n’a été faite quant à d’éventuelles réparations financières, comme le réclament depuis longtemps les autorités haïtiennes.
Selon journal Le Figaro la France s’est contentée d’annoncer la formation d’une commission mixte composée d’historiens haïtiens et français, chargée d’étudier l’impact de cette dette sur le développement d’Haïti. Un geste perçu par plusieurs analystes comme une tentative d’apaisement symbolique, sans réel engagement envers la justice historique et la restitution.

Cette somme imposée équivalait à près de 10 années de recettes fiscales haïtiennes à l’époque.
Ainsi, force est de constater que Jean-Pierre Boyer, eu égard à son incompétence, voire sa méchanceté, a été complice d’un braquage de son propre pays par une puissance étrangère.

Les conséquences de la dette

L’acceptation de l’ordonnance avait entraîné Haïti dans une spirale d’endettement et de sous-développement sans précédent. En effet, le pays n’avait pas les moyens de payer une telle somme. Alors, pour régler le premier versement, le gouvernement haïtien a dû contracter une nouvelle dette auprès d’une banque française. C’est ce qu’on appelle la double dette. Insolvable, Haïti ne pouvait plus régler le reste de la dette et les emprunts.

Le paiement de cette indemnité a entraîné un important retard de développement dans le pays. L’argent qui devait servir au développement du pays servait de préférence les intérêts de la France. Le poids de la dette a touché particulièrement les classes les plus pauvres d’Haïti, qui ont dû travailler sous la contrainte pour produire davantage et qui, paradoxalement, manquaient d’écoles, d’hôpitaux et d’autres services sociaux de base.

Somme toute, en 1825, la France avait décidé de braquer Haïti sous la menace d’une invasion militaire, mais a pu compter sur la complicité du président Jean-Pierre Boyer. Leur projet de ruiner l’économie haïtienne était en marche, et ses effets se font ressentir 200 ans plus tard.
Aujourd’hui encore, les Haïtiens attendent non seulement des excuses, mais des réparations claires, précises et chiffrées. L’histoire ne se répare pas par des mots, mais par des actes.

Domond Willington / Fouye Rasin Nou (FRN)

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