Justice haïtienne : Douze juges révoqués pour incompétence et manque d’intégrité

Un nouveau coup de tonnerre s’est abattu sur le palais de Dame Justice, déjà bien fissuré par le poids des années et des compromissions. Cette fois, douze pierres délogées de la façade : le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) les a écartés pour cause d’incompétence avérée et d’absence d’intégrité professionnelle, selon les conclusions de la Commission Technique de Certification (CTC). Après avoir minutieusement passé au crible 112 dossiers, lors de sa retraite professionnelle tenue à Pétion-Ville du 24 au 26 septembre 2025, la CTC a décidé que certaines toges n’étaient plus dignes du temple de la loi.

Fouye Rasin Nou, le 22 octobre 2025_Sur les 112 magistrats examinés, 73 ont été certifiés, 27 attendent encore une enquête approfondie, et 12 ont été officiellement remerciés. Une liste qui suscite à la fois stupeur, indignation et soupirs de soulagement, tant les profils concernés occupaient des postes clés dans l’appareil judiciaire. Voici la liste des magistrats écartés :

  1. Frito ARISTIL, Juge et Juge d’Instruction au Tribunal de Première Instance du Cap-Haïtien. Incompétence et manque d’intégrité professionnelle.
  2. Jean Mary Evens BELLABE, Suppléant Juge au Tribunal de Paix de Camp-Perrin. Absence d’intégrité professionnelle.
  3. Marc-Arthur BIEN-AIMÉ, Juge au Tribunal de Première Instance des Gonaïves. Absence d’intégrité professionnelle.
  4. Romain CALIXTE, Suppléant Juge au Tribunal de Paix de Limbé. Absence d’intégrité professionnelle.
  5. Lubedet DORSAINVIL, Juge au Tribunal de Première Instance des Gonaïves. Absence d’intégrité professionnelle.
  6. Bellande DUMERZIER, Juge et Juge d’Instruction au Tribunal de Première Instance de Petit-Goâve. Absence d’intégrité professionnelle.
  7. François FINEY, Doyen au Tribunal de Première Instance de Jérémie. Absence d’intégrité professionnelle.
  8. Josias JEAN BAPTISTE, Suppléant Juge au Tribunal de Paix de la Plaine du Nord. Absence d’intégrité professionnelle.
  9. Giordani JOSEPH, Juge au Tribunal de Paix de Ferrier. Absence d’intégrité professionnelle.
  10. Henderson JOSEPH, Suppléant Juge au Tribunal de Paix d’Aquin. Absence d’intégrité professionnelle.
  11. Elima OBEÏ, Juge au Tribunal de Première Instance du Cap-Haïtien. Absence d’intégrité professionnelle.
  12. Délicio VERNEVIL, Suppléant Juge au Tribunal de Paix de Vialet. Incompétence et manque d’intégrité professionnelle.

Bien que saluée par certains comme un acte de courage institutionnel, cette décision du CSPJ relance de vieilles questions. Comment ces magistrats ont-ils pu être nommés, parfois promus, dans un système supposément encadré par des mécanismes d’évaluation et de contrôle ? Et pourquoi faut-il attendre les ravages pour faire le ménage ? La démarche de certification, censée être un outil de transparence, met surtout en lumière une machine judiciaire qui, trop souvent, s’autoalimente en dysfonctionnements.

Il est à noter que ce scandale n’est pas isolé. Déjà en 2017 et 2020, des exercices similaires de certification judiciaire avaient mené à l’exclusion de magistrats pour des motifs comparables. Le rapport annuel du CSPJ de 2020 faisait état de plusieurs dysfonctionnements au sein de la basoche haïtienne, incluant des juges accusés de trafic d’influence, de détention illégale de dossiers, ou encore de décisions rendues sous pression politique.

L’affaire prend également une résonance particulière à la lumière des déclarations faites par le feu président Jovenel Moïse, qui avait publiquement dénoncé, en octobre 2020, avoir été contraint de nommer des juges corrompus à la Cour de Cassation. Lors d’une intervention télévisée, il déclarait :

« On m’a fait nommer des juges corrompus. Le système est pourri jusqu’à la moelle. Il faut tout nettoyer. »

Cette sortie choc avait provoqué un tollé au sein de la magistrature, certains y voyant une tentative d’ingérence du pouvoir exécutif, d’autres saluant enfin une prise de conscience au sommet de l’État.

Plusieurs médias de renom tant en Haïti qu’à l’étranger, ont depuis relayé ces déclarations et documenté les nombreux scandales ayant éclaboussé la justice haïtienne au fil des années, dans un climat de méfiance générale envers l’impartialité des institutions judiciaires.

Dans ce contexte, difficile pour la population de croire à un réel renouveau. Les scandales se succèdent, les commissions s’enchaînent, les promesses se répètent, mais la justice haïtienne peine à s’extirper de ses marécages. Face aux critiques constantes sur son manque d’indépendance, sa lenteur et son clientélisme, le CSPJ veut sans doute frapper un grand coup. Mais l’opinion publique reste prudente. Car dans un système où la vérité est souvent une variable d’ajustement, où les influences politiques flirtent avec les codes de procédure, où les plus faibles attendent justice pendant que les plus puissants l’achètent, les grands gestes institutionnels ressemblent parfois à des mises en scène bien chorégraphiées.

L’exclusion de ces 12 magistrats pourrait donc marquer un tournant, mais elle ne suffira pas à remettre la justice haïtienne sur ses rails. Encore faut-il que la volonté politique suive, que la formation des magistrats soit renforcée, que les dossiers ne soient pas enterrés dans les tiroirs d’une mémoire sélective.

Et pendant ce temps, le navire judiciaire haïtien continue de naviguer à vue, lesté par des années de compromissions, de silences complices et de verdicts douteux. On retire quelques planches pourries, mais la coque est toujours percée. Espérons simplement que ce ménage tardif ne soit pas qu’un coup de balai dans l’océan.
Styve Jean-Pierre/ Fouye Rasin Nou(FRN)

You cannot copy content of this page