Il y a exactement 118 ans, naissait à Port-au-Prince un homme dont la plume et l’engagement allaient profondément marquer l’histoire littéraire et politique d’Haïti. Jacques Roumain, écrivain, intellectuel et militant, demeure l’une des figures majeures du XXe siècle caribéen.
Fouye Rasin Nou, 4 juin 2025_Né le 4 juin 1907, Jacques Roumain appartient à cette génération d’hommes de lettres pour qui l’écriture était indissociable du combat social. Fondateur du Parti Communiste Haïtien, il a mis sa plume et sa pensée au service des causes populaires, à une époque où prendre la parole pour les plus démunis relevait d’un acte de courage politique.
Une plume enracinée dans le réel
Roumain n’a jamais dissocié la littérature de la réalité sociale. Son roman majeur, Gouverneurs de la rosée, publié en 1944 peu avant sa mort, raconte l’histoire poignante d’un village ravagé par la sécheresse et la division. À travers le personnage de Manuel, revenu de Cuba avec une conscience nouvelle, l’auteur propose un message fort : la reconstruction d’Haïti passe par l’union, la solidarité et la dignité retrouvée.

Ce roman est aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature haïtienne et caribéenne. Traduit dans plusieurs langues, étudié dans des universités du monde entier, il demeure une lecture incontournable pour toute personne s’intéressant aux lettres caribéennes ou aux littératures engagées.
Un militant politique et culturel
Mais Jacques Roumain ne fut pas seulement un écrivain. Il fut également ethnologue, diplomate, journaliste et militant politique. Son engagement marxiste, sa défense des paysans, sa critique des élites et de l’impérialisme américain lui ont valu plusieurs exils et arrestations. Pourtant, il n’a jamais renoncé à son idéal. Il rêvait d’un Haïti libre, souverain, éduqué et solidaire.
Il a aussi grandement contribué à la valorisation de la culture haïtienne, notamment à travers le folklore, les traditions orales et la langue créole, à une époque où ces éléments étaient souvent marginalisés par l’intelligentsia locale.
Un héritage toujours d’actualité
Près de huit décennies après sa disparition prématurée, le 18 août 1944, à l’âge de 37 ans, Jacques Roumain reste une référence incontournable. Dans un contexte haïtien encore traversé par les inégalités, la désillusion politique et l’exclusion sociale, son appel à la dignité humaine, à l’unité nationale et à la justice sociale demeure d’une brûlante actualité.
Comme le dit Manuel dans Gouverneurs de la rosée :
« Nous sommes la race des hommes. Nous ne sommes pas des bêtes. Nous sommes des hommes, entends-tu ? »
Une parole simple, mais puissante, qui résonne encore aujourd’hui comme un cri d’humanité et de révolte contre l’indignité.
L’importance actuelle de Gouverneurs de la rosée a été largement étudiée. La chercheuse britannique Celia Britton, dans son essai “Restoring Lost Unity in Jacques Roumain’s Gouverneurs de la rosée” (2008), démontre comment l’œuvre propose une réconciliation communautaire comme fondement d’un avenir viable.
De même, une analyse universitaire récente signée Éric Circé et Alexandre Alcantara, publiée dans la revue Éducation relative à l’environnement (vol. 19, 2021), met en lumière la portée écologique et spirituelle du roman, bien avant l’émergence des courants environnementalistes dans les littératures postcoloniales.
Aujourd’hui, le nom de Jacques Roumain évoque bien plus qu’un auteur. Il incarne un engagement total envers son peuple, un refus de la résignation et une exigence d’humanité.
Son œuvre phare, Gouverneurs de la rosée, continue de résonner comme un symbole de lutte et d’espérance pour les générations présentes et à venir.

Jacques Roumain n’est pas seulement né le 4 juin 1907. Il renaît aussi dans la mémoire collective de tout un peuple : chaque fois qu’un Haïtien cherche à comprendre son histoire, chaque fois qu’un mot est écrit pour défendre la justice, chaque fois qu’un rêve s’élève au nom de la dignité.
Et si ses mots résonnent encore aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont enracinés dans la vérité d’un peuple qui refuse d’oublier.
Comme un murmure sorti de la terre des ancêtres, une parole créole monte, gravée dans l’âme du pays :
« Yon pèp ki pa konnen valè pitit li yo, se li menm ki kondane tèt li pou l pèdi rasin li. »
Jean-Pierre Styve / Fouye Rasin Nou (FRN)