Port-au-Prince s’écroule sous les balles, les cris et les silences. Chaque jour, des milliers de familles fuient leurs quartiers devenus des zones de guerre. Entre janvier et mai 2025, 1,3 million d’Haïtiens ont été contraints de fuir leur maison, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. 2 680 personnes ont été tuées, dont 54 enfants, et 316 ont été enlevées contre rançon. Le pays vit l’une des pires crises humanitaires de son histoire moderne. Et pourtant, l’État reste absent.
Fouye Rasin Nou, le 16 juin 2025
Malgré l’arrivée progressive d’une force multinationale censée soutenir la Police nationale d’Haïti, aucune stratégie claire n’a été présentée. Aucun plan de désarmement. Aucune reconquête territoriale. À la place : des conférences de presse, des promesses recyclées, des photos posées, et un Conseil présidentiel qui peine à incarner une ligne de commandement. L’impression qui domine est celle d’un pouvoir déconnecté, flottant au-dessus d’un peuple livré aux gangs.
« J’ai vu des membres de ma famille se faire tuer, et je ne pouvais rien faire. Tout le monde courait pour sa vie. »
— Garry Joseph, déplacé interne, interrogé par Associated Press en juin 2025.
Ces mots résument la panique généralisée. Loin des micros et des discours officiels, des femmes sont violées, des enfants enrôlés de force, des familles entières contraintes de dormir à même le sol dans des bâtiments publics insalubres. Selon l’OIM, 85 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince serait sous l’influence directe ou indirecte de groupes armés. L’UNICEF parle de corps d’enfants transformés en “champs de bataille”.
Et pourtant, la communauté internationale traîne elle aussi les pieds. Après avoir promis une force de 2 500 agents, seuls 700 à 800 policiers étrangers sont actuellement déployés. La coordination avec les forces locales est minimale. Les fonds manquent. L’impact sur le terrain est quasi inexistant.
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, ne mâche pas ses mots. Dans son dernier rapport, il évoque « un État qui ne gouverne plus, qui ne protège plus, et qui observe la destruction de son propre peuple avec une distance glaçante ».
À cette crise sécuritaire s’ajoute une faillite morale. Le Conseil présidentiel de transition, censé incarner une réponse à la crise de gouvernance, reste silencieux, presque figé. Pas d’adresse solennelle à la nation. Pas de tournée sur le terrain. Pas de politique claire. Pendant ce temps, les morts s’empilent et les quartiers tombent les uns après les autres.
Ce que traverse Haïti n’est pas un simple effondrement de l’ordre public. C’est un effondrement de l’État lui-même. Et tant que les autorités continueront à faire de la communication sans politique, à publier des promesses sans plan, à se cacher derrière des protocoles diplomatiques stériles, le pays continuera de sombrer.
Haïti n’a pas besoin de discours, ni de délégations en costume. Elle a besoin d’un État. D’un vrai. Tout le reste n’est qu’illusion.
Jean-Pierre Styve / Fouye Rasin Nou (FRN)