Alors que les gangs armés multiplient attaques et extorsions au point de paralyser l’État, le gouvernement haïtien a conclu un contrat de dix ans avec Vectus Global, société militaire privée dirigée par l’ancien Navy SEAL Érik Prince, fondateur de la controversée Blackwater et proche de Donald Trump. L’accord prévoit à la fois des opérations militaires pour reprendre le contrôle des zones stratégiques et la mise en place d’un système de taxation aux frontières avec la République dominicaine, selon l’agence Reuters.
Fouye Rasin Nou, le 15 Août 2025_La situation sécuritaire est dramatique : depuis le début de l’année 2025, plus de 3 100 personnes ont été tuées et 1,3 million déplacées, dont de nombreuses familles exposées à la famine, selon les Nations unies. Entre octobre 2024 et juin 2025, la violence des gangs a causé près de 4 864 décès et paralysé les infrastructures médicales, moins d’un quart des établissements de santé restent opérationnels. Le second trimestre 2025 seulement a vu 1 520 morts, 185 enlèvements et 628 violences sexuelles dans des zones dévastées comme l’Artibonite et le Centre, d’après le BINUH. Ces chiffres montrent l’ampleur du défi auquel Vectus Global se prépare.
Prince a expliqué qu’une fois la sécurité rétablie, son entreprise contribuerait à concevoir et appliquer un programme fiscal visant les marchandises importées depuis la République dominicaine. Haïti percevait autrefois près de la moitié de ses recettes fiscales à cette frontière, mais la prise de contrôle des routes par les gangs a paralysé le commerce et réduit drastiquement les revenus de l’État, d’après un rapport commandé l’an dernier par le gouvernement et plusieurs organisations multilatérales.

Toujours selon Reuters, Vectus Global a commencé ses opérations en mars, déployant des drones en coordination avec une task force dirigée par le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé. Les prochaines étapes incluent l’envoi de tireurs d’élite, d’hélicoptères, de patrouilles maritimes et de plusieurs centaines de combattants américains, européens et salvadoriens, spécialisés en renseignement et communications, pour appuyer la Police nationale d’Haïti dans les zones dominées par les gangs. Prince a affirmé que l’un de ses objectifs clés serait de permettre aux citoyens de voyager de Port-au-Prince à Cap-Haïtien dans un véhicule léger sans être interceptés.
Le recours à Érik Prince s’inscrit dans un réseau international déjà bien établi. Selon Reuters et The Guardian, il a récemment signé un accord avec la République démocratique du Congo pour sécuriser et taxer ses ressources minières et a conseillé l’Équateur sur des stratégies contre la criminalité organisée. Par le passé, il a fondé Blackwater en 1997, entreprise impliquée dans plusieurs scandales, notamment en Irak où des employés furent condamnés pour la mort de 14 civils non armés en 2007 avant d’être graciés par Donald Trump.

Cette coopération avec une société militaire privée étrangère soulève toutefois des préoccupations sur la souveraineté haïtienne. Romain Le Cour Grandmaison, de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, estime qu’il est difficile d’imaginer une telle opération sans l’aval de Washington, même si la Maison Blanche a affirmé n’avoir « aucune implication » et ne pas financer ce contrat. Plusieurs analystes, cités par Reuters et The Guardian, mettent en garde contre une dépendance excessive envers un acteur privé au détriment du renforcement des capacités nationales.
Des experts haïtiens et internationaux en droits humains préviennent que les entreprises militaires privées, lorsqu’elles ne sont pas étroitement encadrées par un cadre légal et institutionnel strict, peuvent être associées à des violations des droits fondamentaux. D’après Transparency International, ce type d’interventions comporte aussi des risques élevés de corruption et d’aggravation des conflits, surtout dans des contextes institutionnels fragiles comme celui d’Haïti. Cet essai d’internalisation de la sécurité n’est d’ailleurs pas inédit : en 2023, Studebaker Defense Group avait été engagé pour former des unités haïtiennes, mais la mission a tourné au fiasco après les enlèvements de deux agents, illustrant les limites de ce modèle dans un environnement où les liens entre gangs et institutions sont étroits.
À noter que cette décision d’engager Vectus Global intervient alors que la mission multinationale dirigée par le Kenya, censée rétablir la sécurité en Haïti, peine toujours à produire des résultats tangibles. Plusieurs mois après son lancement officiel, cette force n’a pas réussi à inverser la dynamique des gangs, une situation que de nombreux observateurs qualifient de honte pour la communauté internationale. Cette comparaison accentue une autre interrogation majeure : juridiquement, le Conseil présidentiel de transition dispose-t-il réellement des provisions légales pour conclure un contrat de dix ans avec une société militaire privée étrangère et, surtout, lui déléguer la collecte des taxes ? La Constitution haïtienne de 1987 confère au pouvoir exécutif certaines prérogatives en matière de sécurité et de fiscalité, mais ne prévoit pas explicitement la possibilité de transférer ces missions régaliennes à un opérateur privé étranger. En matière fiscale, le Code général des impôts et la loi sur l’Administration générale des douanes réservent cette compétence à l’AGD et à la DGI. Sans ratification parlementaire, un tel accord pourrait être contesté devant les juridictions compétentes pour excès de pouvoir ou atteinte à la souveraineté nationale.

En dépit de ces critiques, le nouveau président du Conseil présidentiel de transition, Laurent Saint-Cyr, a déclaré lors de son investiture le 7 août qu’il « salue tout soutien international visant à combattre les gangs » et a appelé à l’envoi de davantage de troupes et de formations. Reste à savoir si, dans dix ans, cette stratégie aura permis à Haïti de retrouver une sécurité durable et une autonomie fiscale ou si elle aura marqué le début d’une dépendance prolongée à des forces étrangères.
Fouye Rasin Nou(FRN)