Lorsque l’année s’achève, le vodou haïtien entre dans un temps de silence, de feuilles et de savoir caché. Le Makaya, rite ancien hérité des spiritualités bantoues, révèle comment la nature, la guérison et la mémoire africaine structurent l’une des pratiques les plus intimes du vodou. Loin des clichés, cette immersion dévoile un univers de transmission et de connaissance au cœur des lakou haïtiens, où la feuille n’est jamais un simple végétal mais une clé spirituelle.
Fouye Rasin Nou, le 25 décembre 2025_Dans certains lakou haïtiens, à l’approche de la fin d’année, un houngan, une mambo ou un praticien vodou averti murmure que les feuilles parlent à ceux qui savent les écouter. Elles nettoient le corps, recentrent l’esprit et apaisent les déséquilibres profonds. Après la fête des Gédés, célébrée les 1er et 2 novembre, le vodou haïtien s’oriente progressivement vers une période plus discrète, marquée par le renouveau : la saison Makaya.
Moins connue que les rites Rada ou Petro, cette tradition issue principalement des spiritualités bantoues du bassin du Congo occupe pourtant une place essentielle dans l’univers vodou. Bien avant l’expérience de l’esclavage, les peuples bantous attribuaient aux plantes, aux racines et aux feuilles une fonction sacrée liée à la guérison, à la protection et à l’équilibre du monde. En Haïti, ces savoirs ont été adaptés et enrichis, donnant naissance à une véritable pharmacopée spirituelle.
Des travaux d’ethnologues et d’anthropologues haïtiens tels que Laënnec Hurbon, Rachel Beauvoir-Dominique et Jean Price-Mars ont mis en lumière le caractère structuré de ces pratiques. Le Makaya repose notamment sur une classification précise des plantes selon leurs usages rituels et médicinaux. Le basilic est utilisé pour nettoyer les espaces, le bois d’Inde pour la protection spirituelle, tandis que la menthe est associée à l’apaisement et à la guérison. Ces recherches confirment que le Makaya ne relève pas uniquement de la tradition orale, mais d’un savoir organisé et transmis.
Le mot Makaya signifie « feuilles » en kikongo, langue bantoue, soulignant l’importance accordée à la phytothérapie et à la connaissance intime de la nature. Le rite valorise l’usage maîtrisé de plantes médicinales, parfois puissantes, non comme instruments de destruction, mais comme outils de protection et de rééquilibrage. Cette tradition s’inscrit dans une continuité africaine vivante, façonnée par l’expérience créole.
À Jacmel, lors d’une cérémonie récente, des Pitit Fèy ont préparé un bain Simbi Makaya en combinant basilic, menthe et feuilles de corossol afin d’accompagner une communauté touchée par une épidémie de grippe. Les initiés ont expliqué que la combinaison exacte des feuilles devait être respectée pour maintenir l’harmonie entre le corps, l’esprit et les loas. Ce témoignage illustre la capacité du Makaya à répondre à des réalités contemporaines tout en respectant les règles ancestrales.
Certains récits populaires associent le nom Makaya à un jeune esclave bossal recruté par François Mackandal, figure majeure de la résistance antiesclavagiste. Cette version relève davantage de la tradition orale que de l’histoire documentée, mais elle s’inscrit dans l’héritage symbolique de Mackandal, connu pour sa maîtrise des plantes et des poisons naturels. Le lien avec Makaya doit être compris comme une filiation mémorielle et spirituelle.
La saison Makaya s’étend généralement du 21 décembre au 6 janvier. Elle symbolise la clôture des cycles négatifs et la préparation d’un nouveau départ. Les lakou entrent alors dans une effervescence silencieuse : les temples sont nettoyés, les tambours et les poto-mitan bénis avec des feuilles fraîches telles que le basilic, la menthe, la verveine ou le bois d’Inde.
Les initiés, appelés Pitit Fèy (enfants des feuilles), jouent un rôle central dans la transmission de ces savoirs. Ils connaissent les plantes, leurs usages, leurs dangers et leurs vertus. À travers eux, le Makaya devient un espace de résilience, où la connaissance ancestrale permet de faire face aux crises sanitaires, sociales et spirituelles.
Les offrandes demeurent simples mais chargées de sens : tabac, clairin, parfum ou absinthe, sacs de maïs évoquant la fertilité, bonbons et pièces de monnaie déposées dans un djakout ou au pied des arbres sacrés. Ces gestes rappellent le lien profond entre l’humain, la terre et les forces spirituelles.
Au centre du rite se trouve Simbi Makaya, esprit des eaux et maître du savoir caché. Associé à une énergie puissante de transformation et de protection, parfois rapprochée du rite Petro sans s’y confondre, le Makaya a longtemps été mal interprété par des regards extérieurs. Pourtant, il demeure fondamentalement orienté vers la guérison, l’équilibre et la maîtrise de soi. Les récits de transformation ou de clairvoyance doivent être compris comme des symboles de puissance intérieure.
Contrairement au Rada, plus doux, ou au Petro, plus intense, le Makaya se distingue par son caractère intime et souvent nocturne. Les cérémonies sont réservées aux houngans, mambos ou bokors spécialisés, avec des chants feutrés, des vèvès tracés au sol et des invocations ciblées pour la santé, la protection ou le renforcement personnel.
À Soukri, Souvenance, Badjo et dans d’autres lieux emblématiques, les communautés perpétuent ces rituels dans le respect de la tradition, préservant la mémoire et la continuité culturelle.
Le 6 janvier, jour des Rois correspondant à l’Épiphanie catholique, marque la clôture du cycle : les feuilles sont brûlées, les bains prennent fin et les loas se retirent. L’année peut alors commencer, symboliquement renouvelée.
Aujourd’hui encore, le Makaya demeure un pilier discret mais fondamental du vodou haïtien. Dans un pays confronté à de profondes crises, il continue d’offrir un langage spirituel de soin, de résistance et de dignité, rappelant que la force d’Haïti réside aussi dans ses racines invisibles.
Jean-Pierre Styve/
Fouye Rasin Nou (FRN)


