Haïti – Sécurité : 30 ans de la PNH, entre résilience et défis structurels

Trente ans après sa création, la Police Nationale d’Haïti (PNH) continue d’incarner, malgré de profondes fragilités, l’un des derniers piliers de l’ordre républicain. En cette année 2025, ce cap symbolique invite à une réflexion collective sur la mission de cette institution, les obstacles auxquels elle est confrontée, et la nécessité impérieuse de la renforcer pour garantir l’avenir du pays.

Fouye Rasin Nou, 12 juin 2025

Une institution née d’une rupture historique

La PNH a été officiellement créée par la loi du 29 novembre 1994, publiée dans le Journal officiel Le Moniteur le 12 décembre de la même année. Cette loi posait les bases d’une force de sécurité publique, civile, professionnelle, apolitique et indépendante. Son entrée en fonction s’est faite en 1995, sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, après la dissolution des Forces Armées d’Haïti (FAD’H), dans un effort pour rompre avec l’histoire répressive des régimes militaires haïtiens.

La PNH face au vide de l’État

Aujourd’hui encore, dans un pays où l’insécurité règne et où l’État s’efface peu à peu, la PNH se dresse, souvent seule, pour tenter de maintenir un minimum d’ordre dans le chaos ambiant.

Un effectif dérisoire face à l’urgence sécuritaire

La situation reste pourtant alarmante. La PNH ne compte qu’environ 10 000 agents pour plus de 11 millions d’habitants. Ce ratio est largement inférieur aux normes internationales, qui recommandent un policier pour 400 à 500 citoyens. En Haïti, on en trouve à peine un pour plus de 1 000. Cette faiblesse structurelle handicape gravement la capacité opérationnelle de la police, d’autant plus dans un contexte où des gangs lourdement armés contrôlent de vastes territoires urbains et ruraux.

Des moyens matériels largement insuffisants

À cette insuffisance d’effectifs s’ajoute un manque cruel de moyens matériels. De nombreux véhicules sont hors d’usage, les équipements de base font défaut, les casernes sont en ruines, et les munitions souvent rares. Les policiers sont contraints de travailler dans des conditions précaires, et le non-paiement régulier de leurs salaires affecte fortement leur moral. Cette fragilité ouvre également la porte à des dérives, comme la corruption ou la démobilisation silencieuse.

Une formation inadaptée aux enjeux actuels

Par ailleurs, la formation continue des agents est presque inexistante. Dans un monde où les menaces évoluent rapidement, notamment la criminalité transnationale, la cybercriminalité, le trafic d’armes ou encore les enlèvements, les policiers haïtiens demeurent insuffisamment préparés. Les opportunités de perfectionnement sont rares, et leurs compétences ne sont que très peu actualisées. Cette carence affaiblit leur capacité à répondre efficacement aux nouvelles formes de criminalité de plus en plus structurées.

Une institution sous influence politique

L’institution elle-même souffre d’un déficit d’indépendance. L’ingérence du pouvoir politique reste une réalité. Le ministère de la Justice et le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) exercent une influence marquée sur les nominations, les déploiements, et même certaines opérations. Cette politisation fragilise la neutralité, l’image et la performance de la police aux yeux de la population.

Hommage aux agents tombés pour la République

Et pourtant, malgré ce contexte difficile, chaque jour, des femmes et des hommes en uniforme se lèvent pour servir leur pays, souvent au péril de leur vie. À l’occasion de ce trentième anniversaire, il est indispensable de saluer la mémoire des policières et policiers tombés dans l’exercice de leur fonction. Leur sacrifice pour la défense des citoyens haïtiens ne doit pas être oublié. Comme le rappelait l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan :
« La sécurité humaine est la condition fondamentale de la liberté et du développement. Une société ne peut prospérer si ses citoyens vivent dans la peur. »

Le courage de ces agents mérite non seulement la reconnaissance de la nation, mais surtout une réponse politique à la hauteur des enjeux.

Un tournant nécessaire pour l’avenir d’Haïti

Ce moment anniversaire devrait être plus qu’une simple commémoration. Il doit devenir un point de bascule vers une réforme ambitieuse et durable. Pour qu’Haïti sorte du chaos, elle a besoin d’une PNH forte, bien formée, indépendante, respectée et dignement équipée. Car sans sécurité, il ne peut y avoir ni justice, ni démocratie, ni développement durable.

Jean -Pierre Styve/ Fouye Rasin Nou( FRN)

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